Le destin de Tsukie de Toshirō Fujimoto
Shinsei Tōjō est critique littéraire, il a notamment participé à l’élaboration de plusieurs ouvrages théoriques comme Gendai Hokkaidō Bungaku-ron (« Théorie de la littérature moderne de Hokkaidō », non traduit) ou Ainu minzoku hitei-ron ni kō suru (« Résistance face au discours négationniste contre le peuple Aïnou », non traduit). Il revient dans un article de son blog Close to the Wall sur le premier roman de Toshirō Fujimoto, Le destin de Tsukie.

Critique initialement connu pour ses essais sur Philip K. Dick et Yoshio Aramaki (N.d.T. auteur émérite notamment de science-fiction), Toshirō Fujimoto fait ses débuts en tant que romancier avec un récit traitant de psychiatrie. Prenant place dans un Kyôto moderne, plus précisément dans le quartier de Gion, on y suit le destin d’une jeune fille retenue en captivité car jugée possédée par l’esprit du renard. Ce récit, qui mêle histoire et médecine, s’inscrit habilement dans le paysage unique de l’ancienne capitale japonaise pour y explorer les causes des maux de la jeune fille et dépeindre le processus de psychothérapie en allant au-delà des superstitions. Ayant moi-même collaboré avec l’auteur sur Kita no sōzōryoku (« L’imagination du Nord », non traduit), je connaissais ses travaux de critique mais j’ignorais qu’il avait écrit pareil roman. Je l’ai donc lu par curiosité et l’ai trouvé extrêmement plaisant. De plus, la psychothérapie constitue le cœur de son intrigue.
Histoire et médecine sur fond de maison de thé
Tandis que sont représentées avec minutie la culture et les différentes vues de Kyôto tout au long de l’année, certains éléments traditionnels comme les danses et le théâtre kyōgen jouent un rôle essentiel dans la thérapie de la patiente et dans la caractérisation de Tsukie, une jeune employée de maison de thé qui deviendra la protagoniste de l’intrigue. Les personnages s’expriment à la façon de Kyôto, et bien que je ne puisse pas en juger l’exactitude, il en ressort une atmosphère unique. Quand je pense que Fujimoto, qui vivait dans le Kyūshū, a déménagé à Kyôto pour le bien de son œuvre, cela pousse au respect. Mais ce n’est pas tout : en situant son récit à une époque où médecine et superstitions se mélangeaient, l’auteur cherche à comprendre ce phénomène de femmes « possédées par l’esprit du renard » en tant que patientes et d’en représenter le traitement psychiatrique.

Gensai est le maître de Tsukie. Par le passé, il a étudié auprès de Genpaku Sugita et Ryōtaku Maeno (N.d.T. célèbres médecins savants de l’époque prémoderne) avant de se rendre à Edo y étudier cette « nouvelle médecine ». Lors du traitement de sa patiente Koyuki, il dit que le processus commence par l’administration de médicament, et que c’est en cela que consiste la médecine moderne : « La médecine n’est pas une croyance », « La médecine repose sur des bases solides », explique-t-il. Néanmoins, lorsqu’il administre le traitement médicamenteux, il propose une analyse intellectuelle de la superstition : « […] cette possession devient le prétexte rêvé lorsque les relations entre les gens se sont si compliquées qu’on ne peut plus les débrouiller. » En plus de quoi Tsukie aura besoin d’une approche à la fois rationnelle et émotionnelle pour nourrir sa dévotion et résoudre les différends familiaux. En tant qu’employée de maison de thé, elle est particulièrement douée pour comprendre les émotions subtiles des autres. Dans un cadre moderne, ce roman propose d’envisager ce que signifie la psychothérapie, et en quoi la jeune fille pourra mettre à profit ses talents face aux limites des méthodes théoriques de Gensai.

En plus de l’évolution de la croyance vers la science, ce récit dépeint certains des fondements du traitement médical, notamment du soignant qui blâme dans un premier temps son patient atteint de folie plutôt que de l’aider, avant de finalement lui administrer des soins dans un acte de repentance. On peut voir à travers l’image de la jeune Tsukie qui étudie pour suivre la voie de la médecine le passage des temps modernes à l’époque contemporaine. Je ne peux qu’être impressionné face au dévouement de Fujimoto qui a non seulement quitté sa région natale pour s’installer à Kyôto et s’imprégner de sa culture, mais a également approfondi son étude à travers les six ouvrages qui précèdent ce premier roman ; ouvrages dans lesquels il multiplie les références à de grands classiques de la littérature chinoise et japonaise, quand bien même en dehors de son domaine d’expertise.
En lisant l’article portant sur Fujimoto proposé dans le numéro 11 du magazine Metaposon (non traduit), on comprend que les grandes lignes de ce récit sont d’autant plus claires pour un spécialiste de la psychothérapie. Aussi, en cherchant à aller plus loin que les psychiatres qui considèrent les actions de leurs patients uniquement comme des symptômes, Tsukie semble adopter la bonne démarche.
Article original
Le Nom de la rose, Le Destin de Tsukie, Oshi, Moyu, Qu’est-ce que le racisme ? (en japonais)
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